Cour européenne des droits de l’homme, Compaoré contre France, arrêt du 7 septembre 2023: Extradition et Assurances Diplomatiques
L'affaire Compaoré c. France devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) porte sur une problématique juridique de premier ordre, celle de l'extradition dans un contexte de risque de violation des droits de l'homme, et met en lumière les enjeux associés à la fiabilité des assurances diplomatiques. Le cas de Paul François Compaoré, impliqué dans des accusations graves et visé par une demande d'extradition du Burkina Faso, se révèle être un prisme à travers lequel examiner les interactions complexes entre justice pénale internationale, souveraineté étatique, et impératifs de protection des droits de l’homme. .
Contexte et éléments de fait
Paul François Compaoré, frère de l'ancien président Burkinabé, a été ciblé par un mandat d'arrêt international pour "incitation à assassinats" en relation avec l'assassinat du journaliste Norbert Zongo en 1998. L'extradition, autorisée par la France en février 2020, s'inscrit dans un cadre bilatéral régi par l'accord de coopération judiciaire de 1961 entre la France et le Burkina Faso. La procédure d'extradition a été marquée par l'obtention d'assurances diplomatiques par la France, visant à garantir que M. Compaoré ne serait pas soumis à des traitements contraires à l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme une fois extradé.
Eléments de droit
La CEDH a jugé qu'une extradition dans les circonstances actuelles violerait l'article 3 de la Convention, en l'absence d'un réexamen approfondi des assurances diplomatiques au regard des bouleversements politiques majeurs au Burkina Faso. Ce jugement souligne l'importance critique d'évaluer non seulement la substance des assurances obtenues mais également le contexte politique dans lequel ces assurances doivent être mises en œuvre. La décision réaffirme le principe selon lequel les États ne doivent pas expulser ou extrader une personne vers un État où il existe des motifs sérieux de croire à un risque réel de traitement inhumain ou dégradant.
Cette affaire soulève plusieurs questions juridiques et éthiques fondamentales :
Le caractère absolu de l'interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants: La Cour réitère la nature absolue et inconditionnelle de l'interdiction de la torture et des traitements ou peines inhumains ou dégradants, telle qu'établie par l'article 3 de la Convention. Cette interdiction est sans dérogation ni exception, même dans des situations de crise ou de menace nationale. Cette fermeté souligne l'engagement inébranlable des États à ne pas extrader une personne vers un pays où elle risque de subir de tels traitements, établissant ainsi un principe fondamental de non-refoulement.
La nature et la portée des assurances diplomatiques : L'affaire illustre la complexité de s'appuyer sur des assurances diplomatiques dans des contextes politiques instables. La décision de la CEDH met en lumière le besoin d'une évaluation dynamique et contextuelle des assurances, allant au-delà de la simple vérification formelle. Dans le cadre d'une demande d'extradition, la Cour souligne l'importance des assurances diplomatiques fournies par l'État requérant. Cependant, elle précise que ces assurances, bien qu'importantes, doivent être accompagnées de garanties pratiques suffisantes pour être considérées comme crédibles. La Cour insiste sur la nécessité d'une évaluation précise et actuelle (ex nunc) des risques de mauvais traitements, en prenant en compte non seulement les conditions spécifiques au requérant mais aussi la situation générale dans l'État requérant.
Le principe de non-refoulement à l'épreuve des réalités politiques : Le cas expose la tension entre, d'une part, le respect des engagements internationaux en matière de droits de l'homme et, d'autre part, les impératifs de coopération judiciaire internationale. La CEDH réitère l'importance primordiale du principe de non-refoulement, même face à des considérations diplomatiques ou judiciaires. L'appréciation de la Cour prend une dimension particulière dans le contexte de bouleversements politiques majeurs au Burkina Faso, avec notamment des coups d'État qui ont profondément modifié le paysage politique et institutionnel. Ces événements ont amené la Cour à remettre en question la fiabilité des assurances précédemment fournies, soulignant la nécessité pour l'État défendeur (la France, en l'occurrence) de procéder à un nouvel examen de ces assurances à la lumière de la situation actuelle. Ce réexamen est jugé essentiel pour garantir que le requérant ne soit pas exposé à un risque réel de traitement contraire à l'article 3 de la Convention.
L'interaction entre droit interne et obligations internationales : L'affaire démontre également les défis rencontrés par les États dans la conciliation entre leurs procédures internes d'extradition et leurs obligations au titre du droit international des droits de l'homme. Elle souligne l'importance pour les États d'intégrer pleinement ces dernières dans leur ordre juridique interne. En conclusion, la décision de la Cour met en lumière la primauté des principes de protection des droits humains face aux obligations de coopération internationale en matière d'extradition. Elle rappelle aux États leur devoir impératif de veiller à ce que les droits fondamentaux des individus soient respectés, en particulier dans un contexte de mutations politiques et institutionnelles susceptibles d'affecter l'efficacité des protections contre la torture et les traitements inhumains ou dégradants.
Conclusion
L'affaire Compaoré c. France constitue un jalon important dans la jurisprudence relative aux extraditions et aux droits de l'homme, en particulier sur la question des assurances diplomatiques et de leur fiabilité. Elle invite les États à une vigilance accrue et à une réévaluation constante des conditions politiques et judiciaires dans les États demandeurs d'extradition, dans le but de garantir que les droits fondamentaux des individus soient protégés au-delà des frontières nationales. Cette décision renforce le cadre juridique international visant à empêcher les violations des droits de l'homme, en rappelant aux États leur devoir impératif de protéger les individus contre le risque de torture et de mauvais traitements.
Mots-clés: Cour européenne des droits de l’homme, Compaoré contre France (France), arrêt du 7 septembre 2023, extradition, assurances diplomatiques, violation des droits de l'homme, Article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, Burkina Faso, traitement inhumain et dégradant, coopération judiciaire internationale, mandat d'arrêt international, incitation à assassinats, risque réel de traitement inhumain, principe de non-refoulement, conditions de détention, contexte politique et sécuritaire, bouleversements politiques majeurs, fiabilité des assurances diplomatiques, évaluation dynamique et contextuelle, protection contre la torture, droit international des droits de l'homme, souveraineté étatique.