Comité des droits de l’homme - Lula da Silva c. Brésil : l’instrumentalisation politique des poursuites pénales et la protection internationale des droits de l'homme

L'affaire Luiz Inácio Lula da Silva contre l'État brésilien, tranchée par le Comité des droits de l'homme des Nations Unies sous la communication n° 2841/2016 le 17 mars 2022, illustre parfaitement la problématique de l’instrumentalisation des poursuites pénales à des fins politiques, ayant pour vocation à empêcher un candidat de concourir à une élection démocratique ou à éliminer politiquement, en ayant recours à des abus judiciaires, un adversaire politique. Ce type d’instrumentalisation est particulièrement efficace dans les Etats dans lesquels l’indépendance des juges est compromise et lorsque les valeurs de l’Etat de droit sont mises à mal par des stratégies politiques autoritaires dans un climat de corruption, de clientélisme et de népotisme. 

Contexte de l'Affaire

L'affaire Luiz Inácio Lula da Silva contre l'État brésilien trouve ses racines dans l'Opération Lava Jato, lancée en mars 2014, qui a révélé un réseau de corruption impliquant des entreprises de construction majeures et la compagnie pétrolière nationale Petrobrás, suggérant des transactions illégales pour des fonds de campagne. Lula, alors président, a été accusé d'avoir bénéficié personnellement de cette corruption, ce qu'il a toujours nié.

Sous la juridiction du juge Moro, deux affaires majeures ont été ouvertes contre Lula : l'une concernant un appartement triplex prétendument acquis grâce à la corruption, et l'autre concernant l'aménagement d'une propriété rurale, toutes deux liées à l'Opération Lava Jato. Au cours de l'enquête, les autorités ont mis sur écoute Lula, sa famille et ses avocats, révélant une interception controversée d'une conversation avec l'ancienne présidente Dilma Rousseff, que le juge Moro a rendue publique, aggravant le climat politique tendu.

Le juge Moro a émis un mandat d'arrêt contre Lula, qui a été arrêté et interrogé pendant six heures dans une opération médiatisée, accentuant l'image de Lula comme criminel présumé. Bien que les écoutes aient été officiellement interrompues, leur divulgation et l'utilisation faite par les médias ont été critiquées pour avoir violé la vie privée de Lula et préjugé de sa culpabilité.

La légalité des actions de Moro et des procureurs a été soutenue par l'Association des juges fédéraux du Brésil et l'Association nationale des procureurs fédéraux, malgré les contestations juridiques soulevées par Lula. Cela inclut l'approbation des mesures prises par Moro, malgré l'annulation ultérieure de ses décisions par la Cour suprême pour manque de juridiction et reconnaissance de partialité.

Lula a été condamné en juillet 2017 pour corruption et blanchiment d'argent, entraînant son emprisonnement en avril 2018, malgré les appels et les contestations légales soulevés contre Moro et le processus judiciaire. Sa candidature à l'élection présidentielle de 2018 a été rejetée, et ses tentatives de communication avec la presse depuis la prison ont été entravées.

Des développements significatifs sont survenus en 2018 lorsque le juge Favreto a ordonné la libération provisoire de Lula, une décision non exécutée et annulée sous la pression d'autres juges, soulignant la polarisation et le débat sur la légalité de la détention de Lula. Par la suite, les décisions judiciaires ont continué à influencer le débat public sur les droits de Lula à un procès équitable et à la participation politique, aboutissant à son éventuelle libération en novembre 2019, après que la Cour suprême ait invalidé sa condamnation et reconnu la partialité du juge Moro.

Ces événements mettent en lumière les tensions entre les efforts de lutte contre la corruption, les droits de l'homme et la stabilité politique au Brésil, soulevant des questions sur l'impartialité du système judiciaire et son impact sur les figures politiques majeures et la démocratie elle-même.

Analyse des Violations Alléguées

Dans l'examen des mérites de la communication présentée par Luiz Inácio Lula da Silva, le Comité des droits de l'homme des Nations Unies a traité plusieurs violations alléguées des droits de l'homme selon le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP).

Article 9 (1) – Mandat d'amener du 4 mars 2016

Le Comité a d'abord évalué si la liberté de Lula a été restreinte de manière justifiée par la loi. Il a conclu que, bien que Lula ait été techniquement d'accord pour accompagner la police, la présence d'un mandat d'amener signifiait qu'il ne pouvait refuser ou quitter l'interrogatoire. Le Comité a jugé que cette situation constituait une privation de liberté non conforme à la procédure légale établie par la loi brésilienne, notamment l'Article 260 du Code de procédure pénale, car Lula n'avait pas été préalablement convoqué à comparaître, violant ainsi son droit à la liberté selon l'article 9 (1) du PIDCP.

Article 17 – Divulgation d'interceptions téléphoniques

Concernant la divulgation d'interceptions téléphoniques entre Lula, sa famille, son avocat, et l'ancienne présidente Rousseff, ainsi que l'interception des téléphones de son avocat, le Comité a noté que ces actions constituaient des ingérences dans le droit à la vie privée. Ces actions, pour être légitimes, devaient être prévues par la loi, proportionnelles et non arbitraires. Le Comité a trouvé que la divulgation et les interceptions n'étaient ni légales ni arbitraires, notamment en raison de la divulgation illégale de la conversation avec Rousseff et de la surveillance anticipée des stratégies de défense, violant ainsi l'article 17 du PIDCP.

Article 14 (1) – Absence d'un tribunal impartial

Le Comité a également considéré les actions du juge Moro comme ayant violé le droit de Lula à un tribunal impartial, soulignant l'importance de l'impartialité subjective et objective des juges. Les faits établis par la Cour Suprême fédérale ont montré que le juge Moro avait un parti pris, ce qui a entraîné une violation de l'article 14 (1) du PIDCP, notamment en raison des préjudices subis par Lula, comme une condamnation et une incapacité à se présenter aux élections.

Article 14 (2) – Présomption d'innocence

Le Comité a estimé que les actions du juge Moro et les déclarations publiques des procureurs ont violé le droit de Lula à la présomption d'innocence. La campagne médiatique et les affirmations de culpabilité par les procureurs sans preuve concluante ont créé une présomption de culpabilité, en violation de l'article 14 (2).

Article 25 (b) – Droit de vote et d'être élu

Enfin, le Comité a conclu que les procédures pénales contre Lula, violant les garanties de procédure régulière de l'article 14, ont également violé son droit de se présenter aux élections et de voter selon l'article 25 (b) du PIDCP, résultant d'une condamnation injuste.

En conséquence, le Comité a jugé que l'État partie avait violé les articles 9 (1), 14 (1) et (2), 17, et 25 (b) du PIDCP en ce qui concerne Lula. Il a exigé de l'État partie qu'il fournisse un recours efficace, y compris en s'assurant que les procédures pénales contre Lula respectent toutes les garanties de procédure régulière et en prenant des mesures pour éviter de futures violations. 

Réflexion 

L'affaire Lula souligne la tension entre les efforts anticorruption et la protection des droits fondamentaux. Bien que la lutte contre la corruption soit essentielle pour le développement démocratique et la justice sociale, elle ne doit pas se faire au détriment des droits de l'homme fondamentaux.

Indépendance Judiciaire et Présomption d'Innocence: La partialité perçue et les actions préjudiciables du juge Moro remettent en question l'indépendance judiciaire au Brésil. L'impact de ces actions sur la présomption d'innocence de Lula souligne l'importance cruciale de l'indépendance et de l'impartialité du pouvoir judiciaire pour garantir un procès équitable.

Droits Politiques et Processus Démocratique: La restriction des droits politiques de Lula, en particulier son droit de se présenter aux élections, soulève des questions profondes sur l'intégrité du processus démocratique. Il est fondamental que les mesures prises dans le cadre de la lutte contre la corruption ne servent pas de prétexte pour réprimer l'opposition politique ou restreindre indûment les droits politiques des individus.

Équilibre entre Anticorruption et Droits de l'Homme: Cette affaire illustre le défi d'équilibrer efficacement la lutte contre la corruption avec le respect des droits de l'homme. Un cadre juridique et institutionnel solide, garantissant l'indépendance du pouvoir judiciaire et la protection des droits fondamentaux, est essentiel pour naviguer dans ce paysage complexe.

En conclusion, la décision du Comité des droits de l'homme dans l'affaire Lula da Silva contre l'État brésilien met en lumière les défis inhérents à la garantie de l'équité du procès, de la présomption d'innocence, et de la protection des droits politiques dans le contexte de vastes enquêtes anticorruption. Elle rappelle l'importance de préserver les principes fondamentaux du droit international des droits de l'homme, même dans la poursuite d'objectifs légitimes tels que la lutte contre la corruption.

 

Mots-clés: Opération Lava Jato, corruption, Petrobrás, entreprises de construction, accusations, écoutes téléphoniques, Dilma Rousseff, juge Moro, mandat d'arrêt, violation de la vie privée, impartialité judiciaire, présomption d'innocence, droits politiques, élection présidentielle, détention arbitraire, divulgation illégale, surveillance anticipée des stratégies de défense, tribunal impartial, procédures pénales, garanties de procédure régulière, violation des articles 9 (1), 14 (1) et (2), 17, 25 (b), recours efficace, lutte contre la corruption, indépendance du pouvoir judiciaire, intégrité du processus démocratique, instrumentalisation politique, lawfare.

 
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