La justiciabilité des droits économiques, sociaux et culturels des peuples autochtones : implications de la décision du Comité DESC contre la Finlande
Introduction
Le 27 septembre 2024, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies (Comité DESC) a rendu une décision historique concernant les communications n° 251/2022 et n° 289/2022 opposant des membres du peuple autochtone sâme à la Finlande. Cette décision, publiée le 9 décembre 2024, marque une avancée significative dans l'interprétation et l'application du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) concernant les droits des peuples autochtones à leurs terres et ressources traditionnelles.
Les communications portaient sur la délivrance par les autorités finlandaises d'un permis d'exploration minière et d'un accord de réservation couvrant des zones situées sur le territoire traditionnel sâme sans qu'une étude d'impact appropriée n'ait été réalisée et sans que le consentement préalable, libre et éclairé des communautés concernées n'ait été obtenu. Le Comité a conclu que la Finlande avait violé l'article 15(1)(a) du PIDESC, lu seul et conjointement avec les articles 1er, 2(2) et 11 du Pacte.
Cette décision est particulièrement importante car elle consolide et développe la jurisprudence internationale relative aux droits des peuples autochtones sur leurs terres traditionnelles, tout en clarifiant la portée et le contenu du principe du consentement préalable, libre et éclairé dans le contexte des droits économiques, sociaux et culturels.
Quid Juris
Le cadre normatif applicable
Le Comité DESC a examiné les communications à la lumière d'un cadre normatif complexe comprenant plusieurs dispositions du PIDESC. Il s'est particulièrement concentré sur l'article 15(1)(a) concernant le droit de participer à la vie culturelle, lu seul et conjointement avec l'article 1er sur le droit à l'autodétermination, l'article 2(2) sur la non-discrimination et l'article 11 sur le droit à un niveau de vie suffisant.
Cette approche holistique est remarquable, car elle reconnaît l'interdépendance entre différents droits garantis par le Pacte et leur pertinence particulière pour les peuples autochtones. Le Comité a explicitement affirmé que « la réalisation du droit à l'autodétermination est une condition essentielle de la garantie et du respect effectif des droits des peuples autochtones » (paragraphe 14.4), contribuant ainsi à l'évolution de la jurisprudence sur l'autodétermination des peuples autochtones.
L'articulation entre droit à la culture et droits fonciers des peuples autochtones
L'aspect le plus novateur de cette décision réside dans la manière dont le Comité articule le droit à la culture avec les droits fonciers des peuples autochtones. Le Comité rappelle que l'élevage de rennes constitue un élément essentiel de la culture et de la subsistance sâmes qui se transmet de génération en génération (paragraphe 14.1). Il souligne que « la dimension collective de la vie culturelle des peuples autochtones, y compris leurs activités traditionnelles, est étroitement liée à leurs terres, territoires et ressources traditionnels et qu'elle est indispensable à leur existence, à leur bien-être et à leur plein épanouissement » (paragraphe 14.2).
Cette interprétation s'inscrit dans la continuité de l'Observation générale n° 21 du Comité sur le droit de chacun de participer à la vie culturelle, tout en l'enrichissant d'une perspective spécifique aux peuples autochtones. Le Comité affirme clairement que « dans le contexte des peuples autochtones, l'article 15(1)(a) du Pacte, lu conjointement avec les articles 1er et 11, couvre le droit des peuples autochtones aux terres, territoires et ressources qu'ils possèdent ou occupent traditionnellement ou qu'ils ont utilisés ou acquis » (paragraphe 14.5).
Le principe du consentement préalable, libre et éclairé
La décision apporte une contribution majeure à la compréhension et à l'application du principe du consentement préalable, libre et éclairé (CPLE) dans le cadre du PIDESC. Le Comité précise que ce principe exige non seulement que les peuples autochtones « disposent d'informations et puissent faire part de leurs observations, mais également qu'ils participent, par l'intermédiaire de leurs propres institutions représentatives, à un dialogue permanent, culturellement adapté et mené dès le départ, dans le respect de leur droit d'influer sur l'issue de la prise de décisions les concernant » (paragraphe 14.6).
Le Comité établit ainsi une distinction nette entre consultation et consentement, soulignant que la simple possibilité d'être entendu, comme l'avait conclu la Cour administrative suprême de Finlande, ne suffit pas à satisfaire aux exigences du CPLE. Cette interprétation reflète une conception substantielle et non purement procédurale du CPLE, alignée sur les standards développés dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et par d'autres mécanismes internationaux.
La non-discrimination dans la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels
Le Comité apporte également un éclairage important sur la dimension non-discriminatoire des droits garantis par le Pacte. Se référant à son Observation générale n° 20, il rappelle que « pour mettre fin à la discrimination dans la pratique, il fallait porter une attention suffisante aux groupes de population qui faisaient l'objet de préjugés tenaces ou hérités de l'histoire, plutôt que de simplement se référer au traitement formel des individus dont la situation était comparable » (paragraphe 14.10).
En l'espèce, le Comité constate que « l'État partie ne reconnaît pas dans son droit interne les droits des peuples autochtones sur leurs terres traditionnelles » et que, par conséquent, « les Sâmes ne peuvent pas prétendre à une indemnisation lorsque ces terres deviennent un site d'exploration minière » (communication n° 251/2022) et « ne sont pas considérés comme partie prenante à l'octroi d'un accord de réservation » (communication n° 289/2022) (paragraphe 14.11). Cette situation constitue une discrimination de fait, car elle ne tient pas compte de la situation particulière des Sâmes et de leur relation spécifique avec leurs terres traditionnelles.
Quid Jus
Vers une convergence des approches en matière de droits des peuples autochtones
Cette décision s'inscrit dans un mouvement plus large de convergence entre différents organes internationaux de protection des droits de l'homme concernant les droits des peuples autochtones. Le Comité fait explicitement référence à la jurisprudence du Comité des droits de l'homme, du Comité pour l'élimination de la discrimination raciale, de la Cour interaméricaine des droits de l'homme et de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (paragraphes 14.3 et 14.4).
Cette approche comparative et inclusive renforce la cohérence du droit international des droits de l'homme et contribue à l'émergence d'un corpus juris spécifique aux peuples autochtones, transcendant les divisions traditionnelles entre les différents instruments et mécanismes de protection.
L'interdépendance entre développement économique et droits culturels
La décision aborde également la tension entre développement économique et préservation des modes de vie traditionnels. Dans son opinion concordante, le membre expert Professeur Ludovic Hennebel souligne que « le contrôle sur la terre n'est pas seulement une question économique mais aussi une composante essentielle de l'autodétermination, car il permet aux peuples autochtones comme les Sâmes de maintenir leur patrimoine culturel, leurs moyens de subsistance et leur identité ».
Cette perspective nuancée invite à repenser les modèles de développement économique pour y intégrer pleinement la dimension culturelle et identitaire, particulièrement pertinente pour les peuples autochtones. Elle s'inscrit dans une réflexion plus large sur la durabilité et l'équité intergénérationnelle, thèmes particulièrement prégnants dans un contexte de changements climatiques qui affectent de manière disproportionnée les peuples autochtones.
La justiciabilité du droit à l'autodétermination
L'opinion concordante du Professeur Hennebel soulève une question théorique fondamentale concernant la justiciabilité de l'article 1er du PIDESC consacrant le droit à l'autodétermination. Tout en reconnaissant que le Comité « s'arrête avant d'affirmer une violation autonome de l'article 1er », il plaide pour « une jurisprudence encore plus ambitieuse, audacieuse et protectrice, soulignant le besoin croissant de reconnaître pleinement l'autodétermination comme un droit justiciable et exécutoire ».
Cette question s'inscrit dans un débat théorique plus large sur la nature et la portée des droits collectifs dans le droit international des droits de l'homme, traditionnellement centré sur l'individu. L'approche adoptée par le Comité, qui interprète l'article 15(1)(a) à la lumière de l'article 1er sans pour autant conclure à une violation autonome de ce dernier, témoigne d'une évolution progressive vers une plus grande reconnaissance de la dimension collective des droits de l'homme.
Implications globales
Implications pour la législation et les politiques nationales
Cette décision comporte des implications significatives pour la Finlande, mais aussi pour d'autres États parties au PIDESC qui comptent des peuples autochtones sur leur territoire. Le Comité formule des recommandations précises, appelant la Finlande à « modifier sa législation et ses procédures administratives afin d'y inscrire la norme internationale du consentement préalable, libre et éclairé et d'y prévoir une évaluation de l'impact environnemental, social et culturel » (paragraphe 17).
Plus fondamentalement, le Comité recommande à la Finlande « d'engager des démarches pour que les droits des peuples autochtones sur leurs terres traditionnelles, y compris les formes de propriété collective, soient reconnus dans son droit interne » (paragraphe 17). Cette recommandation va au-delà du cas d'espèce et appelle à une réforme structurelle du cadre juridique finlandais régissant les droits fonciers des Sâmes.
Renforcement des normes internationales en matière de protection des terres autochtones
La décision contribue à renforcer et à préciser les normes internationales en matière de protection des terres traditionnelles des peuples autochtones. En établissant clairement que le PIDESC protège le droit des peuples autochtones aux terres qu'ils possèdent ou occupent traditionnellement, et en soulignant l'importance du CPLE pour la mise en œuvre effective de ce droit, le Comité fournit un cadre normatif solide qui pourra guider l'interprétation et l'application du Pacte dans d'autres contextes.
Cette consolidation des normes est particulièrement importante dans un contexte mondial marqué par des pressions croissantes sur les terres traditionnelles des peuples autochtones, liées notamment à l'extraction de ressources naturelles, à l'agro-industrie et aux projets d'infrastructure à grande échelle.
Défis de mise en œuvre dans différents contextes nationaux
Malgré sa portée normative significative, la mise en œuvre effective de cette décision se heurtera probablement à des résistances dans différents contextes nationaux. En Finlande même, la réforme législative recommandée par le Comité nécessitera un processus politique susceptible de rencontrer des oppositions, notamment de la part des acteurs économiques intéressés par l'exploitation des ressources minières.
Plus largement, la reconnaissance effective des droits fonciers des peuples autochtones continue de se heurter, dans de nombreux pays, à des obstacles juridiques, politiques et économiques. La tension entre les modèles de développement économique dominants et les droits des peuples autochtones demeure un défi majeur pour la mise en œuvre des standards internationaux en la matière.
Conclusion
La décision du Comité DESC dans les affaires n° 251/2022 et n° 289/2022 constitue une avancée significative dans la protection internationale des droits des peuples autochtones. En interprétant le droit à la culture comme incluant le droit aux terres traditionnelles et en précisant les exigences du principe du consentement préalable, libre et éclairé, le Comité contribue substantiellement au développement progressif du droit international des droits de l'homme.
Cette décision s'inscrit dans un mouvement plus large de convergence entre différents organes internationaux de protection des droits de l'homme concernant les droits des peuples autochtones. Elle renforce la cohérence et l'efficacité du système international de protection des droits de l'homme face aux défis contemporains, notamment ceux liés à l'exploitation des ressources naturelles et aux changements climatiques.
Les recommandations formulées par le Comité ouvrent la voie à des réformes législatives et politiques susceptibles d'améliorer significativement la protection des droits des peuples autochtones, non seulement en Finlande mais aussi dans d'autres pays confrontés à des questions similaires. La mise en œuvre effective de ces recommandations nécessitera cependant un engagement politique fort et une mobilisation continue des acteurs concernés, y compris les organisations de la société civile et les institutions nationales des droits de l'homme.
En définitive, cette décision constitue un jalon important dans l'évolution du droit international vers une reconnaissance plus complète et effective des droits des peuples autochtones, conformément au principe fondamental de dignité humaine qui sous-tend l'ensemble du système international des droits de l'homme.