Arbitraire et persécution : le Groupe de Travail des Nations Unies dénonce la détention des leaders autochtones au Nicaragua

Dans une décision importante pour la protection des droits des peuples autochtones, le Groupe de Travail sur la Détention Arbitraire (GTDA) des Nations Unies a émis son opinion n°30/2024 concernant quatre leaders autochtones nicaraguayens. Ces derniers, défenseurs des droits environnementaux et de leurs terres ancestrales au sein du peuple Mayangna, ont été arrêtés et condamnés dans des circonstances qualifiées d’arbitraires par le GTDA. La décision, adoptée lors de la 100e session du GTDA, tenue du 26 au 30 août 2024, conclut à une violation flagrante des articles 2, 9, 14, 16, 19, 21, 22, 25 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), ainsi que de plusieurs normes de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH).

Contexte : une criminalisation ciblée des défenseurs des droits environnementaux

Les quatre hommes sont membres de la communauté autochtone Mayangna et jouent un rôle essentiel dans la défense de leur territoire ancestral, situé dans la réserve de biosphère de Bosawás. Ces terres, reconnues pour leur richesse environnementale et culturelle, sont menacées par l’invasion de colons non indigènes, souvent appuyés par des acteurs criminels ou protégés par des autorités locales.

En 2021, une attaque armée sur la mine de Kiwakumbaih a entraîné un massacre d'une ampleur inédite, faisant plusieurs victimes parmi les indigènes locaux. Bien que les témoignages des survivants incriminent des individus non autochtones lourdement armés, les autorités nicaraguayennes ont désigné les quatre leaders autochtones comme responsables. Leur arrestation, effectuée sans mandat, s'inscrit dans une stratégie de criminalisation visant à dissuader la défense des droits territoriaux et environnementaux des communautés autochtones.

Raisonnement juridique : une quadruple violation des normes internationales

Le GTDA a analysé cette affaire sous plusieurs angles et a conclu que la privation de liberté des quatre individus enfreint les principes fondamentaux du droit international.

1. Absence de base légale (catégorie I)

Les arrestations ont été effectuées en l'absence de tout mandat judiciaire et sans preuves concrètes établissant la culpabilité des accusés. Le rapport souligne que ces détentions ne peuvent être justifiées ni par un état de flagrance ni par des preuves circonstancielles crédibles. L’absence d’information claire sur les motifs de l’arrestation constitue une violation manifeste des articles 9 et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP).

2. Atteinte aux droits fondamentaux (catégorie II)

Les quatre détenus ont été privés de leur liberté en raison de leurs activités de défense des droits humains, notamment leur rôle dans la protection des terres ancestrales. Ces activités, qui incluent la résistance pacifique à l’invasion des colons et la promotion des droits collectifs, sont garanties par le droit international, en particulier la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

3. Déni de procès équitable (catégorie III)

Les procédures judiciaires ont été entachées de graves irrégularités. Les accusés ont été jugés sans interprète, malgré le fait que leur langue maternelle n’est pas l’espagnol, et ont été maintenus en détention prolongée sans accès à des avocats de leur choix. Le rapport documente également des cas de torture et de mauvais traitements visant à obtenir des aveux forcés, en violation des articles 7 et 14 du PIDCP, ainsi que de la Convention contre la torture.

4. Discrimination (catégorie V)

Le rapport établit que ces détentions s'inscrivent dans un schéma de discrimination systémique envers les peuples autochtones. Les accusés ont été ciblés en raison de leur origine ethnique, de leur rôle en tant que leaders communautaires et de leur opposition politique au gouvernement. Cette discrimination viole les articles 2 et 26 du PIDCP, qui garantissent l'égalité devant la loi et la protection contre toute forme de discrimination.

Conclusions et recommandations : un appel à la justice et à la réparation

Face à ces violations multiples, le GTDA a formulé plusieurs recommandations. Il demande la libération immédiate des quatre détenus et leur octroi de réparations pour les dommages subis, conformément au droit international. En outre, il exhorte le gouvernement nicaraguayen à mener une enquête approfondie et indépendante pour identifier les responsables de ces violations et adopter des mesures pour prévenir la répétition de tels abus.

Le Groupe a également transmis l’affaire à plusieurs mandats de rapporteurs spéciaux des Nations Unies, notamment ceux sur la torture, les défenseurs des droits humains, les droits des peuples autochtones et l’environnement, soulignant ainsi la gravité de la situation.

Enjeux plus larges : la nécessité d’un soutien international

Cette affaire met en lumière les défis majeurs auxquels sont confrontés les défenseurs des droits humains, en particulier ceux issus de communautés autochtones. Au-delà des individus concernés, elle illustre un problème systémique de criminalisation et de répression dans des contextes où les droits environnementaux et culturels entrent en conflit avec des intérêts économiques ou politiques.

Pour la communauté internationale, cette décision représente une opportunité de réaffirmer son engagement envers la protection des défenseurs des droits humains et des droits des peuples autochtones. Une action concertée, incluant la pression diplomatique et le soutien juridique, est essentielle pour garantir que justice soit rendue et pour prévenir de futures violations.

Conclusion : un précédent important

La décision du GTDA constitue un précédent juridique essentiel pour la protection des droits humains, des droits des peuples autochtones et des défenseurs de l’environnement. Elle rappelle que l’arbitraire et la discrimination n’ont pas leur place dans un État de droit et souligne l’importance des mécanismes internationaux pour garantir la justice dans des contextes de répression systémique.

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